Артефакт

Apportez votre vin

Auteur : George

Au Québec, pour servir du vin, un restaurant doit avoir une licence. Sinon, il affiche : « Apportez votre vin! »

1.

— Le téléphone a sonné à 2 heures du matin. Avant de décrocher, je savais déjà de quoi il s’agissait : personne, à l’exception du service d’enquête, ne connaît le numéro. Si les flics m’ont appelé au milieu de la nuit, pas de doute possible : ils ne peuvent continuer leur enquête sans consulter un expert...

Et moi, j’en suis un. Je suis psychiatre. Je suis le dernier recours de la police dans les cas les plus graves et c’est pour cela qu’ils m’appellent au milieu de la nuit.

— Bonne nuit, Docteur. C’est vous ?

— Eh... bon... évidemment, c’est moi.

Il semble ne pas saisir mon sarcasme :

— Pouvez-vous vous rendre chez nous, Docteur ? Il s’agit d’un crime...

Hum... S’il ne me le disait pas, j’aurais pensé à une invitation à la fête de Saint Maigret, le patron des policiers... Il est toujours drôle de traiter avec des défenseurs de l’ordre public.

Mais la paie est vachement bonne, les personnages sont curieux (je ne m’occupe pas des vols à l’étalage), en fin de compte, on peut bien supporter quelques inconvénients du métier.

2.

— ...Une fois au commissariat, on me conduit dans le bureau du grand boss et celui-ci, les yeux rouges à cause du manque du sommeil, expose le mystère :

Un meurtre... Un empoisonnement classique : l’homme a bu une gorgée de vin et est tombé raide mort. Le poison a été dilué dans la bouteille. Sa femme est vivante, mais elle à l’hôpital, luttant pour sa survie.

— Dois-je assumer que vous m’avez invité à déchiffrer quelques menaces contenues dans un billet trouvé dans la poche de la malheureuse victime ?

Le commissaire sourit, mais d’un sourire forcé et pénible :

— Non, Docteur. C’est plus grave que ça : le couple a acheté la bouteille dans un magasin et l’a apportée dans un restaurant sans licence. C’est le serveur qui l’a ouverte et il a lui-même rempli les verres. Il s’en allait quand les victimes portaient un toast... Et en un clin d’œil le pauvre mari s’est éteint...

— Eh, bien... je ne comprends toujours pas mon rôle...

— Vous êtes censé nous expliquer à quoi nous devons nous attendre dès que la population apprendra la grande nouvelle : « du poison vendu dans des bouteilles de vin bien scellées ». Combien de victimes se rendront à l’hôpital avec des symptômes semblables ? Aurons-nous droit à des bagarres dans les restaurants ? Verrons-nous des empoisonnements de femmes par leurs maris et vice-versa, invoquant l’achat du vin au dépanneur d’à côté ? Des émeutes suivront-elles la prohibition de la vente d’alcool ? Devons-nous nous attendre au trafic illégal d’alcool ?

— Excusez-moi, Commissaire, mais comment savez-vous que le poison était dans la bouteille scellée ?

— Mais. Docteur, les preuves sont éloquentes !

— Ah, oui... Tous les témoins, même ceux qui n’ont jamais assisté à la scène, s’en souviennent parfaitement.

— J’apprécie votre humeur, Docteur, mais il faisait chaud et le couple a choisi la terrasse où de nombreux visiteurs les ont vus. De plus, nous avons été chanceux, car la tragédie a été filmée par une caméra de surveillance : le couple arrive... Ils s’installent à la table et discutent du menu. Après, la dame se lève pour aller au petit coin et revient au bout de cinq minutes. Le serveur approche et le mari passe la commande. Puis, il montre la bouteille au garçon, celui-ci glousse, tire l’ouvre-bouteille de sa poche, débouche le vin et remplit les deux verres. Remarquez que ce sont les victimes qui ont apporté le vin et c’est pourquoi il remplit d’abord le verre de la femme. S’il s’agissait du vin de la maison, il l’aurait versé d’abord à l’homme et celui-ci l’aurait bu en premier, laissant place aux soupçons envers la femme... Alors, tous les deux vident leur verre sur-le-champ. Voilà, ils tombent... Bien sûr que nous avons déjà fait analyser le contenu de la bouteille. Le résultat était facile à prédire : La bouteille contenait plus du poison que du vin !

— Mais... Avez-vous pensé à la possibilité de que la dame voulait bien tuer son mari ? Dans ce cas, elle a empoisonné le vin dans la bouteille: une seringue à travers le bouchon ne laisse pas de traces. Puis, elle ne boit qu’une gorgée ce qui cause des maux d’estomac, naturellement, mais rien de plus. C’est pourquoi elle est vivante et lui est mort. élémentaire, mon cher Watson.

— Félicitations, Docteur, on constate que vous êtes un lecteur assidu de nouvelles policières, mais, désolé, c’était du cyanure de potassium ... Faut-il vous expliquer, M. Sherlock Holmes, ce qu’est le cyanure ?

Non, bien sûr, que ce n’est pas nécessaire. Tout le monde a entendu parler de ce liquide incolore incroyablement toxique qui agit sur la chaîne respiratoire, la bloquant et entraînant une asphyxie rapide, en quelques secondes à peine.

C’est un classique de l’empoisonnement, le deuxième poison le plus utilisé dans les crimes de la sorte (le premier étant, naturellement, l’arsenic).

— Mais, alors, comment est-il possible que ce couple ne soit pas arrivé à le repérer à temps ? Tout le monde est conscient que le cyanure a une odeur fort prononcée d’amandes amères (ce sont plutôt les amandes qui sentent le cyanure, mais personne n’a jamais accusé l’homo sapiens d’être raisonnablement logique).

— Bravo, Docteur. Je me corrige : vous n’êtes pas un lecteur assidu de nouvelles policières. Vous êtes un lecteur TROP assidu !

Et après une courte hésitation, le commissaire ajoute d’un ton ironique :

— Ce qui m’a toujours fasciné, c’est l’habitude des ignorants de juger que la police est plus stupide que la moyenne des bourgeois. Tout homme qui vient travailler chez nous, fut-il archiviste, gestionnaire des réseaux informatiques ou appariteur, mène sa propre enquête et nous fournit des recommandations incontestables pour réussir.

Touché ! Il y a une heure à peine, j’ai offensé avec toute la désinvolture que j’ai pu réunir, un petit clerc qui m’appelé pour demander ma présence ici. Je mérite bien cette réaction. Mais, dans son immense miséricorde, le commissaire fait semblant de ne pas noter mon embarras et continue avec condescendance :

— L’odeur d’amande amère ne se révèle que quand le cyanure est administré sous sa forme gazeuse. Sous forme liquide, les effluves du poison se mêlent aux évaporations du vin et l’odeur devient indéfinissable.

— Mais la femme n’est pas morte, même si elle a bu de la même bouteille, n’est-ce pas ?

Il hausse les épaules :

— L’organisme, parfois, de drôles de réactions. Nous avons remarqué dans le vidéo que la dame serré le verre dans ses mains pendant quelques instants. Plusieurs sont certains que chauffer le vin de cette façon avant de le boire aide à révéler son bouquet. Rien de plus loin de la vérité, car ces infimes secondes ne sont pas suffisantes pour faire ressortir les qualités cachées de la boisson. Cependant, qui sait, une partie du cyanure aurait pu s’évaporer, même en quelques secondes, car il bout à 25˚C et il faisait vraiment chaud. En tout cas, l’épouse a eu beaucoup de chance.

— N’avez-vous pas pensé à la possibilité d’une action préméditée de sa part ?

— Si. Le couple avait réservé la table que le hasard voulut être installée devant la caméra de surveillance, c’était la femme qui portait le sac avec le vin et donc elle avait l’opportunité d’y introduire la seringue et de s’en débarrasser plus tard. En fin de compte, c’est elle qui est restée en vie. De plus, il n’existe aucun couple chez qui un motif de s’entretuer ne soit pas présent. Mais une meurtrière qui prend le risque de boire du vin empoisonné au cyanure, vous imaginez ça ? Moi, non.

Bon, je suis censé être ici en tant qu’un expert impartial qui aide la police à délimiter toutes sortes de scénarios possibles émanant de cette situation et non comme détective amateur. C’est pourquoi je garde le silence.

Et le commissaire de continuer :

— Non, cher Docteur, pas de doute possible — le poison a été ajouté par quelque fou ou folle dans le magasin ou, pire encore, dans l’usine de production. Et c’est à cette situation que nous aurons à faire face dans les prochains jours.

3.

Suis-je sous l’effet d’un phénomène connu dans notre domaine : un psychiatre professionnel finit toujours par devenir un narcissique qui se croit tout-puissant ? Ne suis-je rien qu’un imbécile qui prend plaisir à discuter avec un policier professionnel ? Je ne sais pas.

Ce que je sais, c’est que cette femme vient d’assassiner son époux. Oui, il y a incroyablement peu de chances que le cyanure puisse s’évaporer en conséquence du réchauffement du vin dans les mains. Mais personne ne pourra affirmer que c’est absolument impossible, donc c’est un miracle qu’elle ait été sauvée. Et le fait qu’elle est demeurée bouche close sans prononcer un seul mot après être allée aux toilettes, ça ne prouve rien non plus.

Ce n’est pas la faute des flics si les romans policiers ne portent jamais sur une particularité banale de toutes les substances chimiques. De toutes, sans aucune exception : pour chaque substance existante, il existe une autre substance qui la neutralise en éliminant son action. Il suffit de trouver ce neutralisateur et de savoir l’utiliser.

Ce n’est pas la faute des flics s’ils ne le savent pas. Les cours de chimie ou de médecine criminelle ignorent ce thème.

La raison ? Je ne la connais pas. Peut-être, afin d’éviter des remords de la conscience de la part des enquêteurs qui ne pourront jamais prouver que pour une femme, il suffit d’avoir la bouche pleine de sucre au moment de boire le vin avec du cyanure pour s’en sortir indemne. Après, on simule des effets et les services d’urgence, en nettoyant l’organisme, font le nécessaire pour éliminer toutes les traces du sucre dans l’urine et le sang.

S’il existe un crime parfait, cette femme l’a commis. Quelles raisons l’ont poussée à agir ? L’héritage ? L’assurance-vie ? La haine accumulée au cours des années du ménage ? Personne ne le saura jamais, car il n’existe pas de réponses faciles dans les cas d’empoisonnement.

4.

...En Orient, on dit qu’une belle femme et le vin font de doux poisons. Peut-être que c’est vrai. Mais les Bretons ont un autre dicton : « Si ta femme ne te tue pas, le vin aura ta peau ».

Je suis certain que les braves Bretons, craignant la vengeance des femmes, ont changé le vrai sens du proverbe, la variante correcte devant être : Si le vin ne te tue pas, ta femme aura ta peau !

Fin

Note : il est vrai que le sucre neutralise l’action du cyanure et que ce fait est généralement ignoré par les auteurs et les policiers. Par contre, nous ne recommandons à personne d’en faire l’expérience.

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15 апреля 2009 г.:
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